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Jean Contrucci

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 Photos René Barone

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Jean Contrucci pourriez-vous vous présenter rapidement (profession, âge, ... )?

Je suis né juste avant la guerre. La seconde, bien sûr, mais c’est pour vous situer l’époque.
Licencié ès Lettres, je suis journaliste depuis 1966, d’abord à feu Provence-Magazine, puis grand reporter au Provençal jusqu’à son assassinat en 1997 et correspondant du Monde de 1975 à 1995. Depuis, j’ai fourni sans enthousiasme excessif une chronique littéraire dominicale à La Provence que j’ai abandonnée en 2009.

Première question traditionnelle : pourquoi écrire ? Est-ce que le fait d'être critique littéraire favorise ou non l'écriture ? N'y a-t-il pas une sorte de peur : étant critique, les autres critiques risquent d'être encore plus sévères envers moi ?

Pourquoi écrire en effet ? Pour laisser une trace de mon passage. Sentiment puéril, mais réconfortant. Ce que j’ai écrit – bon ou mauvais - existe et me survivra. Il suffira qu’un seul lecteur de l’avenir ouvre un de mes livres pour que je ne sois pas mort tout à fait.

Le fait d’être moi-même critique littéraire ne me gênait pas, sauf parfois en période de “création” . J’avais peur de trouver chez les autres quelque chose à quoi j’aurais pensé et que je ne pourrais plus utiliser sans avoir l’air d’avoir copié sur le voisin. Sinon, ça me rendait plutôt indulgent vis à vis des collègues Je savais la somme d’efforts que coûte un livre, même mauvais. Je m’interdisais la “descente en flammes”. Quant aux autres critiques, je ne risquais rien. La profession est veule et courtisane. On me ménageait ou on me flattait dans l’espoir d’un “retour d’ascenseur”.

Votre premier roman, "La poisse" (adapté à la télévision sous le titre "Pris au piège", ce téléfilm avait eu un prix à Cognac) était un roman policier. Pourquoi du polar ?

Si “La Poisse”, mon premier roman, avait la forme d’un roman policier, c’est parce qu’à l’époque (1980) je n’avais pas le temps d’écrire, trop pris par le journal. Avec la trame serrée d’un polar, je pouvais écrire des petits bouts éparpillés, j’avais devant moi les rails que j’avais tracés, je ne me dispersais pas, le scénario était bouclé : conduire un innocent absolu que le lecteur connaissait comme tel vers la condamnation pour meurtre.

Avez-vous participé à l'adaptation ? Le téléfilm est-il fidèle au roman ? Est-ce vous qui avez contacté des producteurs, ou bien est-ce un producteur ou un metteur en scène qui vous a contacté ?

Je n’ai pas participé à l’adaptation. C’est un autre métier que le mien. Le téléfilm est assez fidèle et surtout très bien fait (Michel Favart) et bien adapté par Pierre Moustiers. C’est ce dernier qui m’a demandé. La seule chose que j’ai eu à faire est de dire oui. Ils ont changé la fin, car on ne tue pas un commissaire-principal en prime time sur une chaîne publique. La seule chose qui me gêne, c’est que cette histoire, je l’ai entendue dans ma tête avec notre accent. Pour de sordides questions de sous, ils n’ont pas voulu venir tourner à Marseille. Ce qui fait que lorsque je revois ce film, j’ai l’impression de visionner une version doublée en francilien.

Avez-vous écrit autre chose que du "polar" ? Si oui, quoi ?

Oui, j’ai écrit  deux romans historiques, “La vengeance du roi-Soleil” (2012) et “La Ville des tempêtes” (2016), tous deux consacrés à des révoltes marseillaises contre le pouvoir royal, et quatre autres romans qui ne sont pas à proprement parler des polars : Comme un cheval fourbu, (84) Un jour, tu verras (87) et La cathédrale engloutie (91) et Le vol du gerfaut (2018). Cependant, il y a toujours peu ou prou du suspense. Les personnages sont souvent «masqués». Ils sont autres que ce qu’ils nous disent qu’ils sont. Parfois ils changent même d’identité. Je ne m’explique pas ça. Je ne l’ai réalisé qu’à posteriori.

Que préférez-vous écrire ? Polar ou non polar ?

J’aime bien les deux. Ou plutôt le mélange des deux.

Passons à votre série  "Les nouveaux mystères de Marseille" qui a débuté avec “L’énigme de la Blancarde”. Comment vous est venue l'idée de roman ? Est-ce que c'est suite aux chroniques écrites pour Le Provençal ?

L’idée de L’énigme de La Blancarde m’est venue lorsqu’en 2000 j’ai décidé de revenir à la fiction après une longue période où le hasard et la nécessité m’avaient fait commettre un certain nombre d’ouvrages à connotation historique, dont le monumental Marseille, (807 pages !) co-signé avec Roger Duchêne, paru chez Fayard, et d’autres qui relevaient d’un travail journalistique. Je cherchais donc un « scénario » possible, lorsque j’ai repensé à l’affaire Mouttet que j’avais déjà racontée sous une forme réduite dans les colonnes du Provençal, puis publié dans un recueil d’histoires vraies paru sous le titre Ça s’est passé à Marseille (5 volumes). Cette affaire m’avait fasciné, parce que c’était, un siècle avant, l’affaire Marchal (« Omar m’a tuer »). Une riche rombière sauvagement assassinée, un coupable idéal, son fils adoptif et la justice qui se prend les pieds dans le tapis au point de brouiller les choses si bien qu’on ne sait plus qui a fait quoi, alors que ça paraissait évident. J’ai pensé que ça ferait un bon canevas de départ. Comme l’affaire avait eu lieu en 1891, j’ai eu envie de reconstituer l’ambiance de cette Marseille de la Belle Epoque, en mêlant mon goût pour la fiction à celui de l’Histoire. C’est parti de là. L’affaire est vraie, sauf que j’ai inventé tout le reste.

Il y a eu "Les mystères de Paris", puis "Les nouveaux mystères de Paris" de Léo Malet. Zola a écrit "Les mystères de Marseille". Est-ce qu'avec "L'énigme de la Blancarde" sous-titré "Les nouveaux mystères de Marseille" vous avez eu d'emblée l'idée d'une série ?

Pas du tout. Le sous-titre Les nouveaux mystères de Marseille est, évidemment, un clin d’œil hommage au premier roman d’Emile Zola, qui lui-même faisait référence aux Mystères de Paris d’Eugène Sue (en moins bon). Je pensais en rester là. C’est Laurent Laffont, directeur littéraire chez Lattès, qui m’avait suggéré l’idée d’une “suite romanesque”. Ensemble nous en avions établi "le cahier des charges". A partir d’affaires réelles, plus ou moins adaptées, on retrouverait des personnages récurrents – les héros de L’énigme de La Blancarde : Raoul le reporter, Cécile sa fiancée devenue sa femme, l’oncle commissaire, etc… auxquels viendraient s’agréger des “seconds rôles” propres à chaque histoire. Et chaque fois, un nouveau quartier de Marseille servirait de décor. J'en suis à treize volumes parus. Après ? Y en aura-t-il d’autres? Ça m’étonnerait. Je préfère arrêter de moi-même avant qu’on me pousse vers la sortie. Le plaisir, c’est le moteur principal. A partager avec les lecteurs. Mais je ne me vois pas jouer les Léo Malet en allant jusqu’à 20 volumes.

Avez-vous déjà recensé d'autres énigmes susceptibles de conduire à des romans ? Car si vous suivez le même postulat vous partez de cas non élucidés. Y en a-t-il beaucoup ?

La “ matière ” comme vous dites, existe. Au besoin on l’importe d’autres périodes et on l’adapte. J’ai recensé plusieurs histoires qui pourraient convenir. Dans le second volume, par exemple, j’ai mélangé deux affaires qui ont eu lieu dans des endroits différents et n’avaient pas de rapport entre elles. Et puis, ce que je n’ai pas, je l’imagine.

J’aime bien cette ambiance de la Belle Epoque, parce que c’est celle des grands feuilletonistes que j’admire et envie (Ponson du Terrail, Gaston Leroux, Souvestres et Allain, Maurice Leblanc) et parce que la Belle Epoque marseillaise n’a pas encore été exploitée. Je défriche.

Parlons un peu roman policier. Le "polar" c'est quoi pour vous ?

Le polar, pour moi, c’est un genre majeur, parce qu’on peut tout faire passer à travers une histoire policière : critique sociale, politique, économique et parce que les règles imposées par le genre vous obligent à la rigueur. On ne traîne pas en route. J’ai horreur des temps morts romanesques. Le tempo de l’histoire est mon obsession. J’ai toujours peur de m’emmerder en cours de route. Et d’emmerder les autres.

Quels sont vos auteurs de polars préférés ?

En vrac et au hasard : Gaston Leroux, Dashiell Hammet, Chase, Simenon, Andrea Camilleri, Patricia Highsmith, Horace Mc Coy, Tony Hillerman, P.D. James, Ruth Rendell , Harlan Coben, R.J.Ellory... Je pourrais allonger la liste..

Avez-vous épuisé les faits divers Marseillais et est-ce que la chronique "Ça c'est passé à Marseille" sera reprise un jour dans La Provence ?

La chronique Ça s’est passé à Marseille ne sera pas reprise dans La Provence. D’abord parce que je m’y opposerais, ensuite parce qu’on ne risque pas de me le demander

Quel genre de romans policiers préférez-vous ? Le roman noir ? Le suspens ? Le "polar" historique ? L'énigme classique ?

J’aime tous les genres du polar. A condition qu’on sache m’embarquer, je marche. je suis très bon public, quand c’est bien fait. Je déplore que trop de médiocres culottés – s’engouffrant dans une mode temporaire comme toutes les modes - occupent trop de place dans un genre qui demande outre le talent, une discipline d’enfer.

Envisagez-vous d'écrire des "polars" inspirés de faits plus récents ?

Je n’envisage pas pour l’instant d’écrire à partir de faits divers plus récents, car la plupart ont été déjà exploités.

Combien de temps pour écrire “L’énigme de la Blancarde” ?

“ L’énigme ” m’a pris deux mois pour aller jusqu’au mot fin. J’écris vite, mais après une gestation plus ou moins longue. Mon record personnel c’est 27 jours (La cathédrale engloutie). Encore faut-il s’entendre. Je recorrige et relis beaucoup pour flinguer les adverbes et les adjectifs en plein vol.

Comment écrivez-vous ? Etablissez-vous un plan précis que vous suivez fidèlement, ou bien démarrez-vous avec une idée plus ou moins précise et ensuite vous découvrez les péripéties au fur et à mesure ?

Je démarre avec une vague idée. Parce que si je sais trop où je vais, ça me fige. J’adore me faire des surprises en cours de route.

Et jamais de panne ? Ca m'épate un peu ces auteurs capables de pondre des pages et des pages, comme G.J. Arnaud... Je me souviens avoir entendu F. Dard dire que tous les matins il se mettait à sa machine et écrivait jusqu'à midi. Ou Pierre Magnan qui travaillait jusqu'à 5 h. comme un fonctionnaire ! alors que, naïvement, je croyais que tout dépendait de l'inspiration, tel jour 1 page, tel jour rien, tel jour c'est la forme : 10 pages, etc.

C'est un métier d'artisan. Il faut être penché sur l'établi et ça finit par venir. Le journalisme m'a été d'un grand secours, où il faut pondre son texte, même si on n'en a pas envie pour telle heure et avec tant de lignes. Qu'on ait mal à la tête, que bobonne vienne de vous plaquer pour un maître-nageur, ou que les pieds et paquets de midi ne passent pas bien.

C'est bon, moins bon, ou franchement mauvais, mais je n'ai jamais connu la panne. Je crois que c'est un mot inconnu dans le journalisme de quotidien. Et ça aide quand on passe aux choses sérieuses. Dard était un ancien journaliste. Quant à Magnan, c'est un paysan sur son araire.

Reste le cas G.J. Arnaud. A mon avis, lui, il possède une fonction endocrine supplémentaire qui sécrète de l'encre d'imprimerie. .

Passons au questionnaire de Proust (un questionnaire revu et corrigé !)

Quel est votre principal trait de caractère ? La loyauté

La qualité que vous préférez chez un homme? La loyauté

Et chez une femme? La loyauté

Ce que vous appréciez le plus chez vos amis? La loyauté

Votre principal défaut? Je manque de loyauté. Non, je rigole! Je manque de confiance en moi

Votre occupation préférée? Ecouter de la musique

Votre rêve de bonheur? Ecouter de la musique

Votre plus grande peur? Ne plus pouvoir écouter de la musique

Ce que vous voudriez être? N’importe qui en l’an 3000. Pour voir...

Où aimeriez-vous vivre ? A Marseille sans certains Marseillais qui par leur incivisme chronique, leur sans-gêne et leur égoïsme, font parfois de ce paradis un enfer.

La couleur que vous aimez? Le violet archevêque

Vos auteurs favoris en prose? Flaubert, André Suarès, Boris Vian. Patrick Modiano, J.M.G. Le Clézio, Jérôme Garcin

Vos poètes préférés? Arthur Rimbaud, Charles Baudelaire, René Char, Jacques Prévert

Vos héros / héroïnes dans la fiction? Frédéric Moreau (L’éducation sentimentale), Le grand Meaulnes, Tristan, Cosette, Porthos

Mes héros / héroïnes dans la vie réelle? Depuis qu’enfant j’ai appris que Mermoz, que j’idolâtrais, était Croix-de-feu, je n’ai plus confiance dans les héros.

Et votre livre de chevet, si vous en avez un? J’ai un livre de chevet nouveau par soir.

Vos compositeurs classiques préférés? Bach, Mozart, Beethoven, Schubert, Schumann, Wagner, Fauré, Mahler, Strauss (Richard)

Et vos compositeurs contemporains préférés? Debussy, Ravel, Bartok, Stravinski, Martinu, Chostakovitch

La chanson que vous sifflez sous votre douche? La musique maçonnique funèbre K 477 de W.A. Mozart.

Les prénoms que vous préférez? Elsa

Vos peintres favoris? Brueghel (l’ancien), Bosch, Caravaggio, Goya, Van Gogh, Marquet, Gauguin, Modigliani, Caillebotte, Matisse, De Staël

Votre film culte? Casablanca (Michael Curtiz) et dans un autre genre Chantons sous la pluie de Stanley Donen et Gene Kelly.

Votre actrice préférée? Yvonne de Carlo (L’esclave libre de Raoul Walsh) C’est grâce à elle qu’aux confins flous de l’adolescence j’ai opté carrément pour l’hétérosexualité.

Votre boisson préférée? Le pure malt de 12 ans d’âge. ( si possible de 18 ).

Que détestez-vous par-dessus tout? Le sans–gêne et la bêtise satisfaite.

Quel personnage historique détestez-vous le plus? Napoléon.

La réforme historique que vous admirez le plus? L’abolition de la peine de mort.

Vos héros dans la vie réelle? Alexandre-Marius Jacob, (1879-1952) anarchiste né à Marseille, qui ne s’attaquait qu’aux nantis et rétrocédait une partie de ses rapines aux indigents. Il a inspiré le personnage d’Arsène Lupin.

Si vous deviez changer un aspect de votre apparence physique, lequel choisiriez-vous? Le temps s’en est chargé.

Votre plus grand regret? N’avoir pas été chef d’orchestre.

Les fautes qui vous inspirent le plus d'indulgence? Les fausses notes.

Comment aimeriez-vous mourir? En écoutant le prélude du 3ème acte de Tristan et Isolde de Richard Wagner.

Etat présent de votre esprit? Y en a encore beaucoup, des questions ?

Votre devise? Qu’on nous foute la paix, une bonne fois.

Pardon, c’est qui ON ? Je m’adresse à tous ceux qui nous rendent la vie impossible. Alors là si vous voulez mettre la liste en ligne vous n’avez pas fini !

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